Dans un article intitulé "Eucharistie et écologie" publié dans le quotidien La Croix des 24-25 février, que nous reproduisons ci-dessous, Michel Stavrou, professeur à l'Institut de théologie orthodoxe Saint-Serge (Paris) souligne le silence "effrayant" des communautés ecclésiales face l'urgence écologique. Il montre comment une véritable conscience eucharistique devrait pourtant faire émerger une éthique de sobriété, solidarité entre les hommes et compassion écologique.
"Eucharistie et écologie
Lors de la Conférence « Citoyens de la Terre » pour une gouvernance écologique mondiale réunie à Paris ces 2-3 février, le patriarche œcuménique Bartholomée, très engagé sur cette question à la suite de son prédécesseur Dimitrios Ier, a rappelé que « l’égoïsme humain pourrait bien détruire le fragile tissu des rapports qui relient le Créateur, les hommes et l’ensemble de la création ». Mais une hirondelle ne fait pas le printemps. Un désastre nous guette si nous ne nous réveillons pas. Or, le silence de nos communautés ecclésiales sur l’urgence écologique a quelque chose d’effrayant. Pas d’Abbé Pierre en ce domaine pour secouer les esprits comme un Nicolas Hulot a commencé à le faire, montrant que cette question, loin d’être du seul ressort des « écologistes », doit être assumée par chacun. Les chrétiens, simples citoyens ordinaires, ne seraient donc pas plus concernés que les autres ?
L’absence d’un engagement chrétien en écologie a sans doute plusieurs raisons, l’une d’elles étant une déplorable privatisation de la foi liée à une vision étriquée de la laïcité, mais la plus profonde semble théologique : Qu’est-ce que l’environnement pour la conscience chrétienne au pays de Descartes ? Une matière quasi-abstraite, que l’esprit humain peut exploiter à sa guise en vue d’un « développement » sans limite, ou le Jardin du monde à cultiver, « Livre de la nature » riche de symboles célestes que chacun est appelé à déchiffrer ?
La Bible nous révèle que l’homme était appelé par Dieu à « garder » le Jardin (Gn 2). L’homme est le berger de l’être, dira Heidegger. L’incarnation du Verbe a béni le monde qui est devenu la chair de Dieu ; puis, dans le mystère de l’Eglise, le Christ ressuscité, qui comme Verbe porte toute la création, accepte de transfigurer, par son Esprit, la matière en son Corps glorifié : « Le pain que je donnerai, c’est ma chair pour la vie du monde » (Jn 6,51) Dans le « sacrement des sacrements » (Pseudo-Denys) qu’est l’Eucharistie, la communauté ecclésiale rassemblée célèbre déjà le banquet du Royaume céleste qui vient ; chacun est dès lors invité à respecter et à offrir sans cesse au Créateur ce qui lui a été confié. « Chaque fidèle, souligne l'archevêque Anastase de Tirana, est appelé à poursuivre une liturgie personnelle sur l’autel secret de son cœur. » Dans une attitude de prêtre et non de maître envers la terre qui prolonge son corps, l’homme peut faire eucharistie « en tout et pour tout » ce qu’il reçoit au quotidien, à commencer par sa propre existence. Nul volontarisme : l’éducation spirituelle procède d’une véritable conscience eucharistique. De communautés rayonnantes découlera une éthique de sobriété, solidarité entre les hommes et « compassion écologique » (Jean Bastaire) envers la pâte du monde qui se fait l’écrin du corps du Christ.
Ce n’est pas un hasard si Marie-Madeleine prend Jésus ressuscité pour le Jardinier. En tant qu’homme, le Christ nous montre notre vocation profonde envers la terre. Mystère étrange, l’humanité commence son histoire dans un jardin, et voit son salut réalisé dans un autre jardin (Gethsémani et le Tombeau vide). Au seuil de l’irréversible, notre sort est lié à celui du Jardin du monde."