Cette «Lettre pastorale sur le suicide» a été adoptée par la Conférence permanente des évêques orthodoxes canoniques des Amériques (SCOBA) lors de la session qui s’est tenue le 23 mai 2007 au Séminaire Saint Vladimir à Crestwood (NY). Ce document fut mis au point par la commission sur les questions sociales et morales de la SCOBA. La lettre offre, à la fois au clergé et aux laïcs, des perspectives pastorales en accord avec la sainte tradition et une vision médicale et psychologique actuelle sur cette tragédie humaine et sur comment secourir au mieux ceux dont la vie en fut profondément affectée.
Lettre
pastorale sur le suicide
La
tragédie du suicide a depuis longtemps fait partie de l’histoire humaine et
continue aujourd’hui à affecter notre vie de fidèle. En tant que dignitaires de
la Conférence permanente des évêques orthodoxes canoniques des Amériques, nous
sommes fréquemment invités à clarifier les enseignements de l’Eglise sur ce
délicat sujet. Notre souhait est d’offrir une perspective pastorale en accord
avec, à la fois, la tradition de l’Eglise orthodoxe et, notre meilleure
compréhension des facteurs médicaux et psychologiques qui peuvent mener
quelqu’un à prendre sa propre vie.
Le caractère sacré de la vie
En tant
que chrétiens orthodoxes, nous croyons que la vie est un présent de Dieu. La toute
sainte et vivifiante Trinité a créé toute chose et donné vie à toutes les
créatures vivantes. Par son amour, Dieu nous a créés, êtres humains, à son
image et à sa ressemblance, nous chargeant d’être les intendants – et non les
propriétaires – de notre vie, nous bénissant de la capacité d’être libre et
nous destinant à une vie de communion aimante.
La
rébellion originale de nos ancêtres contre Dieu fut un mauvais usage de la
liberté, qui fut introduite dans la réalité de la mort spirituelle et physique.
A travers l’histoire, Dieu a agit pour la rédemption de la race qui a chuté et
la restauration de la communion et de la vie qui fut confisquée. En effet, notre
Seigneur Jésus Christ identifie le but de Son incarnation et de Sa mission
terrestre avec le don de la vie, proclamant : « moi, je suis
venu pour que les hommes aient la vie et qu'ils l'aient en abondance » (Jean 10, 10). Restant fidèle aux Evangiles
du Seigneur, l’Eglise orthodoxe invite tout être humain à pénétrer le corps
vivant du Christ, à être soutenu par les sacrements du don de vie, et à préserver
et perpétuer à la fois la vie spirituelle et physique.
Le suicide et la tradition orthodoxe
Alors
qu’une définition précise et simple est difficile à formuler, on peut dire que
le type de suicide abordé se rapporte à un acte décisif porté à soi-même
intentionnellement causant une mort physique. Ainsi compris, le suicide est
généralement considéré par la tradition orthodoxe comme un rejet du don de Dieu
de la vie physique, un échec d’intendance, un geste de désespoir, une
transgression du sixième commandement « Tu ne tueras pas » (Exode 20, 13). Historiquement, l’Eglise
fut, dès le début, appelée à s’intéresser au problème du suicide. Au
commencement, lorsque l’Evangile fut propagé, les enseignements religieux et philosophiques,
prévalant dans le monde gréco-romain, tendaient à déprécier le corps et à
approuver le suicide dans des circonstances de grave détresse. Les cyniques,
épicuriens, stoïciens et gnostiques, par exemple, ont approuvé la mort
volontaire pour des raisons compatibles avec les plus larges visions éthiques
de chaque groupe. La condamnation du suicide par l’Eglise primitive, telle
qu’elle est reflétée dans les enseignements de Clément d’Alexandrie, Lactance,
saint Augustin et autres, a donc servi à affirmer un enseignement qui était nettement
différent de celui de la culture générale : le caractère sacré de chaque
être humain, la sainteté de notre corps comme temple de l’Esprit Saint, et en
particulier, l’appel à chacun de nous de maintenir foi et espoir même dans le
cœur de l’adversité la plus extrême. Alors que ces enseignements de fond apportaient un témoignage chrétien à la
société gréco-romaine, ils étaient tout autant renvoyés intérieurement, aux
membres de l’Eglise primitive à travers la condamnation de toute tentative de
hâter l’entrée au Royaume par martyre voulu. Clément d’Alexandrie, par exemple,
condamne le suicide et un tel martyre quand il écrit : « Celui
qui se présente par lui-même devant le siège du jugement devient coupable de sa
propre mort. Et c’est de même pour ceux qui n’évitent pas la persécution, mais
par défi se soumettent à la capture. Une telle personne devient complice du
crime commis par son persécuteur » (Stromates
4, 77, 1).
Malgré
sa forte position générale contre l’admissibilité morale du suicide, l’Eglise,
historiquement, a offert un enseignement équitable à ce sujet. D’un côté,
l’Eglise a maintenu la position normative décrite précédemment en condamnant
les actes de suicide et en refusant la tenue d’un service funéraire et
enterrement de la victime du suicide. Cette dimension de l’enseignement de
l’Eglise a souligné le caractère sacré de la vie physique et la responsabilité
de l’être humain d’exprimer un authentique amour de soi, de la reconnaissance
et de l’espoir. Cette décision a aussi voulu être dissuasive contre les
douloureuses pensées de suicide.
D’autre
part, dans sa sagesse, l’Eglise a reconnu l’étiologie complexe et le caractère
chargé émotionnellement du suicide. La corruption de la nature humaine, causée
par le péché ancestral, conduit à de profondes implications pour les dimensions
à la fois physiques et spirituelles de la personne humaine. Alors que la
liberté humaine n’a pas été détruite à la chute, les deux facteurs spirituels,
comme acedia (torpeur spirituelle), et physiques, comme la dépression,
peuvent profondément compromettre la capacité d’une personne à raisonner
clairement et à agir librement. En ce qui concerne le suicide, l’Eglise a très
sérieusement envisagé de tels facteurs spirituels et physiques, et y a répondu
pastoralement en offrant un service funéraire et un enterrement aux victimes
d’un suicide dont les capacités de jugement et d’action ont été trouvées
considérablement diminuées. Ainsi, le Canon 14 de Timothée d’Alexandrie stipule
que les services liturgiques doivent être offerts, « si un homme n’ayant
aucun contrôle sur lui-même pose une main violente sur lui-même ou se jette à
la destruction. » Et l’interprétation patristique de cet enseignement
affirme que des services doivent être offert quand une victime de suicide
« n’est pas saine d’esprit, soit à cause du démon soit à cause d’un
trouble de toute sorte ». (Question XIV du Canon 18 de Timothée, archevêque d’Alexandrie. Pedalion,
p.898)
Le suicide et la science
A travers
les progrès de la science nous avons actuellement une meilleure compréhension
de la relation entre le suicide et la dépression, ainsi qu’une explication plus
précise des causes de la dépression. La dépression est une maladie causée par
des facteurs médicaux et psychologiques. Elle est caractérisée par des sentiments
de dévalorisations et de désespoirs prononcés et est souvent accompagnée par
des changements physiques tels que la perte d’appétit, la perte de poids, ou
dans certains cas, le gain de poids. L’insomnie et l’hypersomnie sont des
symptômes communs. Les connaissances médicales actuelles nous aident à
comprendre que toutes les dépressions sont causées par de multiples facteurs.
Les contributions génétiques, hormonales, neurochimiques, environnementales et
psychologiques peuvent s’associer pour créer une figure dépressive. De plus, la
dépression peut se présenter comme la seule expression d’une importante maladie
physique telle qu’un mystérieux cancer, un dysfonctionnement de la thyroïde et
des réactions aux drogues.
Parfois
la dépression peut être très grave et de nature psychotique. Cela peut être
accompagné par des illusions, hallucinations et un sens altéré de la réalité.
Dans la plupart des cas, la personne déprimée n’est pas visiblement affaiblie.
Néanmoins, dans tous les cas, la dépression est définie par des manifestations
psychologiques et physiques non-rationnelles internes. Même une personne
apparemment rationnelle et lucide peut avoir ses raisonnements et ses choix
fortement affectés par ces manifestations internes non-rationnelles.
Recommandations pastorales
A
la lumière des réflexions théologiques et scientifiques précédentes, il est
clair que la formulation d’une réponse proprement orthodoxe à la tragédie du
suicide est nécessaire et particulièrement difficile. Nous sommes
sensibles à la difficulté de maintenir un équilibre entre l’appel de chaque
être humain à une régence responsable de sa propre vie physique et l’appel de
l’Eglise à considérer comment les progrès de la connaissance médical
influencent le ministère pastoral orthodoxe. Conscient de ce besoin de
discernement, nous proposons ce guide pour agir à la veille d’un suicide.
Premièrement,
nous devons garder à l’esprit que le premier intérêt de l’Eglise et de son
clergé dans le cas d’un suicide se porte sur le vivant et donc sur la famille
et les amis du décédé. Nous devons garder une certaine humilité en nous
souvenant que l’état du suicidé est et doit rester entre les mains de Dieu.
Ceux qui restent, portent un lourd fardeau de « douleur, culpabilité et
aussi de honte » lorsqu’ils réalisent qu’un être cher s’est suicidé. Ils
cherchent dans l’Eglise, et en
particulier dans la paroisse, un peu de force et surtout de l’espoir en ce qui
concerne le défunt et aussi du support et de l’amour dont ils ont
impérativement besoin. En plus de sa réponse pastorale personnelle, le clergé
devrait orienter la famille et les amis si lourdement affligés vers des
centres d’aide qui peuvent compléter l’action curative de l’Eglise.
Deuxièmement,
comme nous avons étudié ce problème, il nous est apparu clairement que beaucoup
plus de cas de suicide qu’il n’a été autrefois reconnu, impliquent des facteurs
spirituels et/ou psychologiques qui compromettent sérieusement la rationalité
et la liberté d’une personne. Bien que ne supprimant pas la culpabilité morale
de tous les cas de suicide ou ne changeant pas notre position générale contre
la possibilité morale du suicide, nous affirmons une profonde relation entre
les facteurs physiques et spirituels chez l’être humain et nous reconnaissons,
dans la plupart des cas, que le tissu complexe des causes contribuant au
suicide se situe au-delà de notre entière compréhension. Finalement, à cause de
la complexité du suicide, à la fois en terme de détermination des causes et en
terme de soins apportés à ceux qui en sont affectés, le prêtre de la paroisse
devrait toujours consulter son supérieur diocésain pour pouvoir discerner la
bonne façon d’agir, la recommandation pastorale générale étant que des services
funéraires et commémoratifs peuvent être octroyés à moins d’une absence de
capacités considérablement diminuées.
Conclusion
Dans
sa magnifique description de l’Eglise en tant que « corps du
Christ », saint Paul écrit, « Un membre souffre-t-il ? Tous les
membres souffrent avec lui. Un membre est-il à l'honneur ? Tous les membres se
réjouissent avec lui. » (1 Cor.
12 :26) Le suicide d’un chrétien orthodoxe est une tragédie qui est
endurée par toute l’Eglise. En tant que dignitaires de l’Eglise orthodoxe, nous
sommes vivement conscients du besoin de maintenir une perspective sur le
suicide qui est en accord avec notre identité et notre mission en tant que
corps unifié du Christ. Nous pensons que la perspective ébauchée dans cette
déclaration, qui reflète notre opinion commune, atteint son but en puisant à la
fois dans la sainte tradition et dans notre profonde compréhension des causes
du suicide.
Nous
offrons nos ferventes prières aux victimes de suicide et à tous ceux dont la
vie et la foi ont été affectées par le suicide d’un proche. De plus, en tant
qu’évêques orthodoxes et membres de la SCOBA, nous assurons que nous allons
travailler rigoureusement ensemble afin de prévenir les tentatives de suicide
et de fournir une réponse pastorale unifiée dans le cas d’une tentative
aboutie. Cette réponse sera caractérisée par la foi, l’espoir et l’amour rendus
possible par Dieu, en qui « nous avons la vie, le mouvement et
l'être » (Actes 17, 28).
(Traduit de l’anglais pour Orthodoxie.com)