Nous vous proposons ci-dessous la traduction française d'un entretien avec le patriarche Cyrille de Moscou publié le 25 avril par Pravoslavie.
- Votre Sainteté, comment appréciez-vous les relations de l’Église orthodoxe russe et de l’Église orthodoxe bulgare ?
- Je voudrais tout d’abord saluer chaleureusement tous les téléspectateurs bulgares qui nous regardent, et exprimer ma grande joie à l’occasion de cette prochaine visite.
Nos deux Églises sont unies par des liens de fraternité, des liens historiques, culturels et spirituels les plus étroits qui, naturellement, remontent au passé. Il suffit de dire que la décision d’Alexandre II de commencer la lutte de libération [du peuple bulgare] fut, dans une grande mesure, déterminée par la position de l’Église orthodoxe russe. Nos soldats sont partis dans les Balkans, afin de libérer leurs frères qui partageaient la même foi. Le mot « même foi » était à la première place, c’était une manifestation de solidarité spirituelle, c’était la manifestation de solidarité des hommes qui étaient unis par l’Église orthodoxe une.
Et aussi, naturellement, dans la période plus tardive, lorsque la Bulgarie a été libérée, les Russes orthodoxes furent étroitement liés à leurs frères et sœurs bulgares, comme vous le savez, et ils aidèrent dans la mesure de leurs forces au rétablissement de la vie ecclésiale, y compris dans ses aspects aussi importants que la reconnaissance de l’autocéphalie, l’indépendance de l’Église orthodoxe bulgare.
Et si l’on aborde l’époque très ancienne, nous nous rappelons de l’apport spirituel et intellectuel des orthodoxes bulgares à la christianisation de la Russie.
L’énumération même de ces thèmes historiques témoigne que les relations entre nos Églises sont tout à fait particulières. Tout au long de l’époque difficile qui a suivi la guerre, nous avons toujours été ensemble, nous nous sommes soutenus mutuellement, nous avons échangé des délégations. Et maintenant, tout cela continue. Nous rencontrons régulièrement les délégués de l’Église bulgare, nos propres représentants viennent aussi en Bulgarie, nous avons des échanges d’étudiants, et nous réfléchissons ensemble sur les questions de l’unité orthodoxe et des nombreux défis qui se dressent aujourd’hui devant le monde orthodoxe.
L’Église orthodoxe bulgare est très proche de notre cœur, proche, je pense, de tout orthodoxe russe, tant en raison de ce que j’ai dit, qu’en raison des liens qui nous unissent solidement aujourd’hui.
- C’est une attente des plus agréables. Je vais en Bulgarie, dans un pays où vit un peuple qui nous est proche, un pays ami, j’ai déjà évoqué les liens historiques.
Je me réjouis de ma prochaine rencontre avec le patriarche Maxime, que je connais depuis mon enfance le patriarche Maxime, alors qu’il venait d’être sacré évêque, était venu dans ce qui était alors l’Union soviétique, accompagnant le patriarche Cyrille [de Bulgarie, + 1971, ndt]. Il vint alors à Leningrad, l’actuelle Saint-Pétersbourg, où je suis né. Mon père accompagnait la délégation bulgare, j’étais un jeune garçon et accompagnais mon père. Je me rappelle parfaitement les offices que célébrait le jeune et énergique évêque Maxime. Je me rappelle nos contacts, bien que je n’étais qu’un enfant, mais nous parlions, nous discutions ensemble. Cet élément personnel créé un lien absolument particulier et donne à ma visite une coloration optimiste, spéciale. Je me réjouis à l’avance des prochaines rencontres avec des gens qui me sont proches, des représentants de l’épiscopat, du clergé, des théologiens. Que Dieu fasse que cette visite pacifique de la Bulgarie contribue au renforcement futur de nos liens fraternels.
- Nous avons tous été témoins que la société russe orthodoxe a soutenu l’Église. Comment avez-vous pu mobiliser une telle quantité de personnes au nom du noble but du soutien à l’Église ?
- Sachez que nous n’avons utilisé aucune technologie – nous nous sommes simplement adressés aux gens. Il n’y avait aucune organisation, et le fait que tant de moscovites et qu’une telle quantité de personnes se soit rendue à Moscou – résulte d’un mouvement spontané, il s’agit simplement de la prise de conscience des fidèles qu’en aucun cas, dans aucunes circonstances, nous ne devons revenir à la vie qui était la nôtre lors des années pénibles des persécutions contre l’Église, de la destruction des fondements moraux et spirituels de notre vie nationale, parce que sans ces fondements, notre peuple cesse d’exister comme communauté historique. Aujourd’hui, il est question de la préservation de la foi et de l’identité de notre peuple, et les gens le comprennent admirablement. Pour cette raison, il n’y avait besoin d’aucun effort particulier, il fallait formuler clairement la nécessité de cette manifestation dans la prière, et les gens ont répondu à cela très vite et avec un grand enthousiasme spirituel.
- Votre Sainteté, je veux vous assurer que notre peuple vous attend avec grande impatience, grande joie et espoir. Je souhaite vous adresser la question suivante : parfois, entre nos États, entre nos politiques, il se produit des interruptions, parfois sous influence étrangère. Considérez-vous que nos Églises orthodoxes sœurs pourraient aider la compréhension, constituer des ponts pour surmonter de telles situations, afin que l’aspiration de nos peuples à être ensemble dans le monde global actuel se réalisent ?
- Je suis absolument convaincu qu’aucun politicien, s’il est tant soit peu logique et s’il tient compte de la mémoire historique, ne peut ignorer le fait que nous sommes des peuples partageant la même foi, que nous partageons les mêmes pages d’une histoire héroïque, que l’on ne peut effacer et qu’il est impossible d’oublier. Et s’il est impossible de les effacer et de les oublier, que faire aujourd’hui avec ces pages ? Je suis profondément convaincu qu’il est nécessaire de les utiliser : cette communauté, cette ouverture mutuelle, cette sympathie qui se trouve si profondément dans l’âme des Bulgares et des Russes, tout cela il faut en tirer partie pour construire réellement de nouvelles relations sur ce fondement historique solide.
Je suis profondément convaincu que cela sera produira ainsi, car la politique se développe sur le principe de l’action et de la réaction à ladite action. Au XXème siècle, il y eut beaucoup de choses qui provoquèrent chez les gens des sentiments qui ne sont guère les meilleurs, mais la réaction n’a pas toujours été positive, notamment à l’égard des événements de la deuxième moitié du XXème siècle. Pour cette raison, peut-être, il s’est produit à un certain degré, je ne dirais pas un « refroidissement », mais une certaine diminution du niveau des relations entre les États. Peut-être, ces dernières ne sont pas encore rétablies, sous l’influence de cette réaction même aux dernières décennies du XXème siècle. Mais il ne faut s’en tenir là trop longtemps, il faut aller de l’avant. Et nous pouvons aller de l’avant avec grand enthousiasme, ayant derrière nous tout ce dont j’ai parlé, notre histoire remarquable, l’héroïsme et les exploits spirituels, l’amour mutuel et la sympathie.
- Au milieu du siècle passé, l’Église orthodoxe russe a transmis à l’Église orthodoxe bulgare les propriétés qu’elle avait sur le territoire de la Bulgarie, À l’occasion de votre visite, avez-vous l’intention de soulever la question de la restitution de ces biens ? Je le demande, parce qu’il en a été souvent question, ces derniers jours, dans la presse bulgare. Il a été dit également que l’un des buts de votre visite est de créer une Église russe autonome sur le territoire de la Bulgarie.
- Ma visite s’appelle une visite de paix. Et si le résultat de celle-ci est une division ecclésiale, ce n’est plus une visite fraternelle et pacifique. Je suis étonné pourquoi, à la veille de ma visite en Bulgarie, les gens ont émis de telles idées et se sont exprimés ainsi. Ce qui s’est produit en 1952, lorsque l’Église orthodoxe russe a transmis à l’Église bulgare quelques monastères et églises, a été un geste de bonne volonté, c’était un cadeau. Ce n’était pas une transaction commerciale, que l’on peut réviser, c’est un cadeau. Peut-on reprendre des cadeaux, surtout chez des frères ? De telles pensées, rappelant ce que vous m’avez maintenant demandé, n’ont jamais été émises par qui que ce soit en Russie, et j’espère qu’elles ne le seront jamais.
En tant que signe de la présence historique de l’Église russe sur le territoire de la Bulgarie, nous avons une église-métochion (dépendance) de l’Église russe à Sofia et, par le métochion bulgare à Moscou, les liens quotidiens entre nos Églises sont assurés, et nous les apprécions beaucoup.
Source (dont photographie): Pravoslavie (traduit par nos soins)